Auteur: Violette Diserens Binggeli  -  écrit en 2004      Localisation: Divers pays  -  entre 1981 et 2000      Photographe: Jacques Binggeli  -  diapositives

FEMMES - DESTINS D'EXCEPTION

Par soucis de confidentialité, certains noms ont été changés.
Nos pérégrinations à travers la planète à la recherche de la nature sauvage et de ses merveilles nous offrent l'avantage de rencontres humaines exceptionnelles. Elles nous ont, entre autre, permis de côtoyer des femmes au destin hors du commun. En hommage à ces femmes, et à toutes celles qui dans le monde ont le courage de prendre leur destin en main, je me permets respectueusement, de vous livrer quelques tranches de vies qui nous ont particulièrement impressionné.


KATINA, JOAN, SAMAR, BINTANG-BUTIK


Quatre belles personnes qu'il m'est impossible de ne pas mentionner, ne serait-ce que succintement.

KITINA, indienne Kali’nas de Guyane française, qui a choisi de combiner deux cultures; celle dans laquelle elle fut élevée par sa mère, dans le village ancestrale, et l’européenne, qui lui vient de son père. A dix huit ans, elle termine donc le cursus d’instruction secondaire français, étudiant à la lueur des bougies dans la partie supérieure du carbet familial.
  JOAN, institutrice de Vancouver, qui a émigré dans les Montagnes Rocheuses pour mener la vie des pionniers, avec son mari et leurs deux enfants. Dans leur ferme située à 40 km du plus proche voisin, ce ne sont plus les renards, mais les ours qui chapardent dans son poulailler !

Il y a aussi SAMAR, infirmière tunisienne qui étudie en France, puis partage la vie des femmes Afar, afin de mieux les comprendre. Elle s’occupe ensuite des enfants perdus de Lomé; puis, toujours pleine d’énergie, entreprend un complément d’études pour venir en aide aux populations les plus déshéritées.

Et enfin BINTANG-BUTIK, guérisseuse de Bornéo, rencontrée dans une famille de pêcheur, au bord du fleuve Kinabatangan. Il fait presque nuit dans la vaste pièce de la maison sur pilotis. Assise sur le sol, en face de notre guide chinois, un tat de cendres à leur côté, Bintang-Butik se concentre sur l'avant-bras blessé de ce dernier. Par tout un cérémonial, des passes de couteau à large lame, des gestes et des murmures incantatoires, elle capture "le mal" par petits morceaux, les porte à sa bouche, et les expulse à l'extérieur en des jets d'une précision inouïe, qui atterrissent exactement dans l'un des interstices du plancher. Le lendemain Danny Chew est guéri.
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MARIE-ANGE, en Guyabne française


Marie-Ange était une jeune femme de vingt huit ans, désillusionnée et perdue dans la tristesse des grandes villes, quand elle vint en Guyane pour la première fois. Catherine, sa fille aînée âgée de douze ans, était restée chez sa grand-mère, en France, afin de poursuivre ses études. Marie-Ange était arrivée avec Sophie, la cadette, alors âgée de six ans.



Elles ont d’abord visité la Guyane avec des amis, puis, Marie-Ange trouva du travail au camp de ‘Saut Sonnelle’, situé sur la rivière Inini, au cœur de la forêt amazonienne. Sa fragilité première, accentuée par son apparence romantique - fine silhouette aux longs cheveux noirs ondulés et immenses yeux bleus - trompa tout le monde. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle tomba amoureuse de la vie dans la grande forêt , et décida d'y rester. Elle étudia alors la culture Wayana, avec les amérindiens vivant le long de la rivière, s’exerça au maniement des pagayes et acquit une très bonne technique de chasse et de pêche. Elle apprit aussi comment capturer certains animaux vivants, excellant moyen de garder de la nourriture fraîche assez longtemps. Elle écouta la vie de la Rivière, contée par les Wayanas. Elle su, où et quand Piranhas et Arapaïmas sont dangereux, comprit le comportement à avoir face au
  crocodile ou à l’anaconda. Elle devint l’amie des Mygales, qui la protégeaient des insectes. L’une d’elles vivait dans le coin cuisine, d’autres dans des terriers autour de son carbet. Elle su aussi apprécier la présence de certains serpents sur son aire d’habitation, et les sous-bois alentour. Ils protégeaient ses réserves de nourriture contre les rongeurs qu’ils apprécient particulièrement. Elle était reconnaissante au Boa de Cook vivant dans les palmes de la toiture, car il était pour elle une garantie contre les chauves-souris dont le nombre peut entraîner des maladies pulmonaires. Elle apprit à préparer le gibier amazonien à la mode amérindienne, mais ne s’arrêta pas là ! Elle adapta cette nourriture sauvage aux recettes françaises, et ce fut un suces ! Nous en avons encore l’eau à la bouche!

Les cheveux de Sophie étaient aussi blonds, que ceux de sa mère étaient noirs. Elle avait par contre, les mêmes yeux bleus et la même fragilité émotionnelle qu’avait Marie-Ange en arrivant en Guyane. A six ans, la fillette n’était pas assez forte pour comprendre et assumer les absences de sa mère, dues à l’apprentissage de leur nouvelle vie. Je me souviens, avec beaucoup d’émotions, des longues heures passées à lui raconter des histoires. Quand à la fin elle s’endormait, je la transportais jusque dans son hamac, à la lueur des étoiles.

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Avec le temps, elle changea du tout au tout. Dès son réveil, elle rejoignait la famille Wayana de Cuya, occupée aux ablutions matinales dans la rivière. C’était un plaisir de la voir jouer avec les jeunes amérindiens. Cheveux blonds et peau claire, parmi les cheveux de jais et les peaux cuivrées des jeunes autochtones, elle ressemblait à un elfe. Elle n’avait plus peur, elle ne pleurait plus, car elle s’était construit une force personnelle dans une totale identification aux Wayanas. Elle refusait de porter des vêtements, et courait pieds nus; elle pensait, parlait, et agissait comme eux. Heureusement Marie-Ange était maintenant assez forte pour relever ce nouveau défi. De plus, la vie lui réservait un cadeau.


Début du camp de Marie-Ange et Patrick


Patrick, guide français de l’Amazonie guyanaise, vint se reposer dans les environs, pendant quelques semaines. Ils se rencontrèrent, firent de longues balades en canoë, ils s’entraînèrent au kayak dans les rapides, pêchèrent et chassèrent ensemble... La voix de la Grande Rivière, qui est le centre social de la forêt, comme un marché ou une place du village, s’amplifia, et ne se trompa pas en annonçant qu’ils resteraient ensemble. A ma dernière visite, Marie-Ange et Patrick étaient mariés.
  Catherine qui les avait rejoint, étudiait par correspondance, et Sophie était en pleine forme. Sur une large butte, en surplomb de l’Inini, ils avaient construit un magnifique carbet. Depuis nos hamacs, nous pouvions admirer un groupe de grand Aras traversant le ciel au dessus de la rivière, ou de splendides vols de Morphos, papillons géants aux ailes bleu électrique. Le concert des Singes hurleurs ou les appels d’amour du jaguar nous réveillaient le matin. Plongés à nouveau dans l’amplitude de la foret amazonienne je compris enfin pleinement le choix de Marie-Ange.


JENNY, sur l'océan Pacifique


L'Ocean Light, magnifique voilier de dix huit mètres, nous attend dans le fjord de ‘Kutzeymateen valley’, où, au mois de juin, les grizzly Ursus arctos horibilis , appelés aussi grands ours bruns au Canada, viennent non seulement brouter les carex Carex lyngbyei, mais aussi chercher fortune amoureuse, car c’est la période du rut.



Comme à l’accoutumée, nous atteignons cette zone en hydravion. Sur le
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pont du voilier l’équipage est au complet : Tom Ellison, le capitaine et Jenny Broom, fantastique jeune femme de vingt trois ans, qui cumule les fonctions de cuisinière, second, hôtesse, infirmière, et mécanicien. Canadienne, championne de natation, elle représenta son pays aux championnats du monde. Aucun mode de déplacement aquatique n’a de secret pour elle. Elle poursuit des études universitaires afin d’être professeur d’éducation physique, et a choisi la mer pour gagner sa vie. Pendant cinq mois, de mai à septembre, elle vie exclusivement sur l'Ocean light, dans la l’immensité libre de l’océan et du nord-ouest américain. Elle prend soin de l’équipage et des groupes de voyageurs qui se succèdent tous les huit à dix jours, quelques rare fois plusieurs semaines, comme c’est souvent notre cas. Ce travail rude et intense requière de grandes qualités. Il nécessite un bon physique, d’être méthodique, d’avoir beaucoup d’endurance, et un grand self-control. Ceci, bien sûr, sans oublier des dons de psychologue. Aussi exceptionnel que cela puisse être pour une si jeune femme, Jenny est parfaite pour ce travail.

Un environnement aussi exigu que le coin-cuisine, exige des aptitudes extraordinaires; de véritable prouesse. La regarder travailler équivaut à suivre l’évolution d’un étrange ballet. Confinée entre un placard, une

 

étagère, un évier et une cuisinière, elle jongle avec ses ustensiles. Chacun de ses mouvements est précis et approprié. Une cuillère pour remuer les légumes ; elle jette un coup d’oeil sur le four ; un couteau pour émincer les oignons, l’ail, et les fines herbes ; elle débarrasse la planche à découper, sort la tarte du four ; sel, poivre, la salade est prête. — « A table ! ». Chacun prend sa tasse en traversant la cabine, jusqu'au coin repas. Jenny sort encore un succulent saumon du four, puis monte une tarte sur le pont, pour qu’elle refroidisse. Elle prépare cinq repas par jour, pour sept à neuf personnes. Chacun d’eux est chaud, et copieusement servi. Nous ne manquons jamais de boisson chaude. Toujours accompagné de pâtisseries fraîches, comme un gâteau aux noisettes, ou des madeleines au chocolat, le thé à la cannelle, Earl grey ou Darjeeling parfume la cabine, lorsque nous rentrons gelés et trempés de nos raids d’exploration à la rencontre des ours.

Lorsque nous mettons la marée haute à profit pour remonter la tumultueuse rivière Khutzeymateen dont les eaux glacées descendent directement des glaciers, Jenny se joint à nous avec la trousse d’urgence. Son entraînement et ses connaissances sont un précieux secours dans ces courants bouillonnants, dont la rapidité autant que les

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rochers du fond de la rivière cachent de multiples dangers. En cas de péril elle serait un excellent sauveteur!

Lors d’un précédant voyage en Alaska, lorsque l’ancre s’est désarrimée au milieu de la nuit, provocant la dérive du voilier, elle était là, prête à aider Tom en une fraction de seconde. Une autre fois, le voilier s’inclina dans notre dos pendant que nous allions sur le rivage à marée basse. Sitôt accostée, Jenny fit demi-tour, et dressée dans le zodiaque, telle une déesse de la mer, retourna derechef pour aider à la manoeuvre, et réparer le désastre de la cabine. A la nuit, chaque chose était à sa place, le souper prêt et elle nous accueillit avec son sourire habituel. Elle aidait à réparer le moteur en cas de pannes, et prenait son tour à la barre par beau ou mauvais temps. Qu’elle soit mécanicien, sauveteur, cuisinier ou second, elle assumait chaque tâche avec méthode et précision. Sachant, en quelle que situation que se soit, être une parfaite hôtesse, elle maintenait sur notre home flottant, une ambiance paisible et chaleureuse.


 

AVANI, en Inde


Avani est née dans une famille de l’aristocratie indienne appartenant à la plus haute caste de l’hindouisme. Dans sa jeunesse, elle étudia les arts et devient sculpteur. Nous l’avons rencontrée à dans la réserve naturelle de Ranthambore, un sanctuaire pour les tigre, admirablement dirigé par Fateh Singh Rathore. Ardent défenseurs de la vie sauvage, de grande renommée, il réussit, malgré d'incessantes luttes écologico-politics, à donner une âme à cette réserve ; à en faire, la perle des parcs nationaux indiens. Une quarantaine de tigres y vivaient en toute quiétude. Quels exemples, et quel réconfort! Ces figures de proue nous montrent que peu impporte l'âge, le milieux social ou le lieu de vie, tout est possible; qu'il est primordiale de garder le cape à travers les difficultés, les yeux fixés sur la réalisation de ce que l'on ressent sincèrement au fond du coeur. Avani avait suivi de près cette longue évolution.



Lorsqu’elle rejoignit Fateh Singh Rathore, elle était veuve depuis plusieurs années, avait une fille de quinze ans, et était financièrement indépendante. Son but était de se dédier complètement à la restauration de la symbiose terre-homme dans cette région. Bien que démesuré, son

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projet semblait réalisable. Elle voulait ramener la vie dans les villages entourant la réserve, où les populations vivaient dans un extrême dénuement. Cinq années de sécheresse consécutives ajouté à la surpopulation, et à la coutume s’attachant plus à la quantité de bétail, qu’à sa qualité, en signe de richesse, avaient accéléré l’écroulement de l’économie local. La famine régnait, et terrible réaction en chaîne, les habitants étaient trop pauvres pour se procurer la moindre semence. Les politiciens avaient beau jeu. Il était alors facile de manipuler ces populations, contre les protecteurs de la nature, leurs rivaux.





C’est dans ce contexte extrêmement complexe et délicat, qu’Avani alla de village en village, à la encontre de ses compatriotes. C’était une gageure de taille, et bien plus rude encore, puisque qu’elle était une femme ! Sa pugnacité eu raison des résistance, et elle put enfin s’exprimer. Elle demanda tout d’abord, au villageois, ce qu’ils pensaient faire pour s’aider eux même. Plongés dans leur misère, et révoltés contre les protecteurs de la nature, ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils pourraient entreprendre, et encore moins comment s’y prendre. Elle leur
  expliqua, alors, que le mieux n’était pas d’avoir beaucoup de bétail improductif, malade et décharné, qui détruit la déjà maigre végétation sans aucune compensation, mais d’avoir des bêtes en bonne santé. Bien nourries, elles donneraient du lait, de la viande, du cuir de qualité. Des troupeaux de moindre importance éviterait le surpâturage, et augmenterait la surface cultivable. Le temps gagné sur la gestion d’un grand cheptel en mauvaise santé, leur permettraient aussi de reprendre leurs ‘petits métiers’. Elle leur dit comment, et pourquoi la nature était leur alliée, et leur démontra que la prospérité de la réserve était





l’exemple leur montrant le chemin à suivre. Comprenant, que la diversification de leurs activités leur donnerait plus de chances de réussite, Ils acceptèrent de participer à son projet. Mais ils ne savaient toujours pas par où commencer ! Avani leur suggéra de rechercher leurs vieux équipements d’artisanat, et de les réparer avec le minimum de frais. Cela fut fait. Tisserands, tailleurs, teinturiers, peintres sur tissus, joailliers de résine, et travailleurs du cuir se mirent au travail.

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Pendant ce temps elle se chargea de trouver des fournitures de base. Elle alla de marchés en fabriques, de fabriques en atelier, et se battit durement pour leur procurer le coton, le cuir, la résine, et les teintures aux meilleurs prix. Ils avaient choisi, ensemble, d’actualiser les vêtements traditionnels de plusieurs régions. Grace à ses talents artistiques, Avani créa des patrons pour les broderies, les vêtements, les babouches, et les bijoux. Elle en accorda les couleurs et les dessins, et trempa, selon la tradition, les cuirs dans des bains d’eau salée. Elle travailla jours et nuits. Elle contrôlait le travail de chaque villageois, étape par étape. Elle n’acceptait aucune malfaçon, basant leur publicité sur la réputation d’un travail de haute qualité. Lorsque tout fut au point, elle choisi les meilleurs artisans dans chaque corps de métiers, afin d’assurer une pérennité à cette vase entreprise. Les commandes arrivèrent, les ventes se succédèrent, le projet était une réussite ! Grâce à la fermeté, et à la persévérance d’Avani, un souffle d’air frais et d‘espoir animait à nouveau les villages. Le résultat de son travail se reflétait dans les yeux d’une population reconnaissante ; ses fruits étaient, comme elle se plaisait à dire : ’succulent comme du miel’ !



Quels exemples! Quel réconfort! Ces figures de proue nous montrent que peu importe l'âge, le milieux social ou le lieu de vie, tout est possible; qu'il est primordiale de garder le cap à travers les difficultés, les yeux fixés sur la réalisation de ce que l'on ressent sincèrement au fond du cœur.
 
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Plus
de photos
   

Avani contrôle des broderies


Guide de Guyane française

 

L'Ocan light

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