Auteur: Violette Diserens Binggeli  -  écrit en 1996      Localisation: Sabah, Bornéo  -  1990 et 1992      Photographe: Jacques Binggeli  -  diapositives

VOYAGE AU PAYS DES LUNDAYEH

Paradoxe
Au cœur de la jungle de Bornéo, dans une petite église en bois ornée de palmes tressées, notre émotion déjà largement sollicitée atteint son paroxysme, lorsque accompagnés de leurs guitares, les Lundayeh entonnent des hymnes chrétiens dans leur propre langue. Nous sommes à deux jours de Noël. Assis à l’envers sur les bancs des deux premiers rangs, les enfants nous regardent aussi chanter ; bouche bée, l’air complètement incrédule. Par quel mystère les trois explorateurs européens que nous étions (Jacques Binggeli, Gérard Mermoud, et moi-même) pouvaient-ils connaître ‘leurs’ hymnes, et plus mystérieusement encore, les chanter en ‘lundayeh’ ? Les enfants voient bien le mouvement de nos lèvres, ils entendent le son de nos voix, mais bernés par la ferveur et l’enthousiasme de l’assemblée, ne peuvent distinguer la sonorité des mots français !

Sur la scène, silhouette chétive, douloureuse caricature du roi de nos hivers, un sapin de Noël reconstitué trône à une place d’honneur. Son tronc est fait de boîtes de conserves empilées, et perforées. De maigres branches de thuya fichées dans les trous simulent les branches, sur lesquelles sont pincées des bougies chancelantes. Un comble dans les plus anciennes et les plus riches forêts de notre planète! Les bougies coulent et les branches déplumées s’enguirlandent de petites flammes. Vite maîtrisée, la flambée naissante n’entache en rien la solennité du moment. Dans la foule, quelques jeunes gens dont les yeux brillent
  encore se tiennent plus fièrement au milieu de leurs compagnons ; ce sont eux qui sont venus nous chercher au bout de la grande pénétrante de bûcheronnage, eux qui nous ont guidé jusqu’à leur village.

——

Quelques jours plus tôt, nous quittions Kota Kinabalu à bord d’un puissant ‘Land Cruiser’ 4X4 conduit par notre guide chinois, Danny Chew. C’est un grand connaisseur des forêts tropicales humides et un ami intime des indigènes Lundayeh, qui vivent dans les forêts primaires du Kalimantan, ainsi qu’au sud du Sabah où nous allons. Dany sera aussi notre traducteur. Son ami Thien Nyuk Loong s’est joint à nous pour ramener le véhicule lorsque nous arriverons à l’extrémité actuelle de la ‘Trans-sabahienne’ d’où nous continuerons à pied avec quelques Lundayeh.

Depuis le petit jour nous suivons la route côtière, les vagues d’une mer bleu, étincelante, caresse mollement la grève. Au passage d’un pont, nous apercevons des pêcheurs lançant leurs filets dans une rivière ; plus loin, un fermier conduit son troupeau dans une prairie. Ici, quelques buffles émergent d’une mare ; là-bas, d’autres se baignent dans la boue d’une palmeraie avortée. Elle avait été plantée trop tôt après le défrichement de la Grande Forêt primaire et des mangroves qui, il y a à peine dix ans, couvraient encore le territoire.

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*Répertoire faune et flore
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De nos jours malheureusement encore, l’exploitation intensive des forêts s’accroît au rythme de l’augmentation de la puissance des machines. De lourds véhicules ouvrent un premier passage à la recherche des arbres les plus précieux, et repartent sans tenir compte de la fragilité du terrain et de la végétation. Une fois les arbres marqués un autre monstre métallique se frayera une ‘sente’ pour venir effectuer la coupe, et repartira sans plus de ménagement que le précédent. Et puis ce sera au tour d’autres puissants engins spécialisés de venir défoncer et saccager le terrain et la végétation, afin d’en extraire les grumes impressionnants, gisant dans l’humus et les branches cassées. Le dommage ne s’arrête pas là. Une fois les bois précieux récolté, d’autres espèces seront abattues et extraites sans plus de respect. Vient ensuite la coupe rase, et la destruction par le feu des vestiges maintenant inexploitables. L’immense pharmacopée des foret tropicales humides part en fumée ; d’innombrables types de vies disparaissent avant même d’être connues ; mais l’honneur est sauf, car un nombre infinitésimale d’animaux est déplacé dans des zone de réserves étriquées ! Quant aux forets, elles sont replantées avec des espèces à croissance rapide venant de zones écologiquement différentes. Leurs destinées sont de nouvelles coupes rases, suivies de brûlis à grande échelle. Ajouté à l’appauvrissement des sols dû à la monoculture, l’érosion dissout en un rien de temps leur mince couche fertile ; les terrains stériles remplacent la Grande Forêt des zones équatoriales humides. Jamais elle ne repoussera, car elle a un besoin absolu de l’extraordinaire diversité et quantité de vie qui la compose pour maintenir intact l’équilibre de son extrêmement complexe, mais très efficace écosystème, qui perdure depuis des millénaires !
  Nous traversons la ville de Sipitang et faisons halte dans un vaste marché, haut en couleurs, qui draine depuis des siècles les échanges de toute la région. Il y a seulement 5 ans, les Lundayeh y venaient encore à pied en suivant des pistes forestières pas plus large que des épaules d’homme ; leurs autoroutes! Il leur fallait quatre jours et trois nuits pour parcourir le trajet. Aujourd’hui, les 160 km de la grande piste rouge déjà ouverts, leur facilitent la tâche. Après nous être sustentés grâce à un excellent repas traditionnel, nous poursuivons notre expédition par cette fameuse route de latérite, qui comme la Transamazonienne déroule son ruban sanglant à travers l’immensité inviolée des forêts millénaires. Biotopes, faune, flore, ethnies et étique sont piétinés sur son passage, rien ne lui résiste! Voir encadré.

Même bien équipé, rouler sur cette route ‘brute de décoffrage’ est très dangereux. Notre véhicule et nos nerfs sont mis à rude épreuve. Chargés à bloc, de lourds trains de grumes foncent comme des forcenés sur la piste défoncée. Chacun de leurs dépassements nous laissent de longues minutes, prisonniers de l’opacité des nuages de poussière rouge qu’ils entraînent dans leur sillage. L’absolue instabilité de la route et sa topographie épousant exactement le profil de la montagne en des descentes vertigineuses, des virages brutaux et des montées périlleuses dans la poussière des camions fous venant en sens opposé, ne sont rien en comparaison du même trajet effectué sous la pluie. Ajoutant à la complexité de la conduite, la route glaiseuse devient pire qu’une patinoire et la densité des précipitations ôte toute visibilité. Alors, l’œil fixé sur des nuages de mauvais augure, Danny Chew nous entraîne dans une véritable course contre la montre. S’il était impératif que nous arrivions au bout de la piste avant la nuit, nous devons maintenant y parvenir coûte que coûte avant l’arrivée de la pluie. Le mauvais temps l’emporte ! Un déluge de pluie s’abat sur nous. Complètement aveuglés, nous poursuivons notre route en de constants dérapages ‘plus ou moins’ contrôlés. Soudain, nous sommes brutalement projetés en avant et atterrissons droit dans une ornière. Le lourd véhicule est fiché dans la latérite jusqu’aux essieux ! Le crépuscule approche et notre moral est en chute libre. C’est sans connaître les ressources de Danny! Après quelques rudes sollicitations des vitesses et blocages du différentiel, le ‘Land Cruiser’ tressaille et commence à vibrer. Il vibre, vibre encore, saute, encore et encore, danse sur les ornières et sans que nous sachions comment, se stabilise sur le bord de la piste... Une heure et demi plus tard, nous arrivons à bon port !
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La route s’arrête sans crier gare au beau milieu de l’immensité forestière, avec juste un cabanon sur le bas côté. Apparemment, personne n’est au rendez-vous ! La nuit s’installe... Dès que nos bagages sons empilés dans la cabane déjà pleine de fûts de carburant, Thien Nyuk Loong repart avec la voiture. Il fait nuit noire et la pluie s’est arrêtée. Les Lundayeh ne se montrent toujours pas. En fait, ils attendent que nous ayons mangé et que nous nous soyons retirés dans le cabanon pour sortir du couvert. Couchés entre fûts et bagages, nous les entendons palabrer tard dans la nuit avec Danny, resté à l’extérieur pour les accueillir. Nous ne les rencontrerons qu’au petit matin.

Leur timidité, leur discrétion et leur ressemblance morphologique avec les Amérindiens d’Amazonie que nous avons rencontrés lors d’autres voyages, nous mettent de suite en confiance. Habitués au climat de serre chaude et détrempée, autant qu’aux pièges de leur forêt, ils se chargent du transport des bagages. Ils ont, pour ce faire, une sorte de sacs à dos faits de filets de lianes tressées armés de quatre montants de bois pour les maintenir en forme. Comme le trajet jusqu'au village de Long Pasia est assez long, et que les sentes glissantes, ou encombrées de racines à demi enfouies dans l’humus, suivent sans vergogne les dénivelés du terrain, nous pensons qu’il est crucial pour eux d’utiliser notre équipement moderne, et très sophistiqué. Avec des gestes et la traduction de Danny, nous leur en expliquons et démontrons l’efficacité et le confort. Tout le monde acquiesce et sourit d’aise. Et puis, nos accompagnateurs prennent nos sacs à dos, les retournent ‘tête en bas’ dans les leurs, ils entassent les paquets, resserrent les mailles des filets à l’aide de lianes prévues à cet effet, et filent droit dans la foret !... Ils ont l’habitude de leur matériel.

De nature courtoise, ils nous laissent ensuite le plaisir de mener le convoi. Nous devons marcher vite afin d’atteindre leur village avant la nuit. La  piste  est  fantastique  et  nous  émerveille.  Nous  sommes minuscules; totalement insignifiants dans cette immensité végétale lourde d’humidité… Tout comme les Lundayeh, nous nous sentons une partie intégrante de cette nature libre et inviolée qui perdure depuis des millénaires.

Sur le bord de la piste, une feuille de papier maculée d’encre, du fait de l’humidité ambiante, est accrochée à un piquet. Ce message a été laissé là à l’attention d’un destinataire. En chemin, nous trouvons d’autres messages que nos accompagnateurs laissent ou prennent, selon le cas,
  pour les rapprocher du village de destination ou les remettre en main propre s’ils savent pouvoir le faire. Un excellent service postal ! Plus loin,une patte de sanglier coincée dans la fourche d’un piquet indique





que le reste entier de l’animal est dans les environs. Nos compagnons trouvent rapidement un amas de bâtonnets, dont la disposition permet de localiser la position exacte et le village à qui il est destiné. C’est pour nous ! Un des Lundayeh ajoute le sanglier* à la pyramide de sa charge.
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  Nous croisons ensuite un autochtone revenant peut-être du village où nous allons. Il s’arrête et discute un moment avec un de nos amis. A notre étonnement, leur langage contient les mêmes claquements de langue que celui des ‘Bushman’ du Botswana. Soudain le nouvel arrivant imite le cri des gibbons et une douzaine d’indigènes nous rejoignent. Ils ont des sarbacanes, des machettes et des fusils datant de Mathusalem. Un vieux chasseur porte un sanglier attaché à même son dos nu. Ils discutent tous ensemble sans apparemment s’occuper de nous, puis disparaissent aussi soudainement qu’ils étaient apparus. Plus loin, un nouveau rébus nous conduit à un sanglier auquel il manque, cette fois, un quartier de viande. La part du chasseur ! En transit dans cette région de la forêt, le voyageur n’a prélevé que le nécessaire à sa subsistance et a laissé le reste du gibier pour qui en aurait besoin, qu’il en connaisse ou non le futur acquéreur. Bienvenue, cette nourriture supplémentaire rejoint l’amas de paquets ficelés au sac à dos d’un autre de nos porteurs.

En cours de route, nous observons de surprenants serpents beiges, rayés de longues lignes bleu vif, apercevons des oiseaux inconnus et de minuscules ongulés, les Muntjacs*. Nous nous extasions devant des vers fluorescents, des papillons et des insectes aux formes et aux couleurs extravagantes. C’est un enchantement ! Mais, le revers d’une telle euphorie est cinglant. Des affiches électorales du gouvernement malaisien sont agrafées sur des arbres ! Atterrés, nous réalisons soudain que les jours des vertes mégalopoles que sont les forêts tropicales humides sont plus que comptés et qu’elles sont probablement déjà trop profondément atteintes pour être sauvées. Impuissants pour l’heure, nous nous ressaisissons, bien décidés à profiter au maximum de notre séjours, et à nous imprégner à jamais des merveilles que ces zones de grande nature sauvage peuvent encore nous offrir.

Peu avant le village, nous sommes captivés par une vision d’exception. Tel un oasis de fraîcheur, de légèreté et d’insouciance au cœur de l’infini forestier, une douzaine d’enfants aux corps dorés de soleil se baignent dans la courbe paisible d’un méandre de la rivière. Quelques pirogues sont amarrées sur la berge, la végétation ombrage l’étendue miroitante… vision magique que ces enfants chahutant dans la lumière perçant des frondaisons. Sur une sente, tels de joyeux coléoptères, deux d’entre eux s’éloignent vers le village, avec une large corbeille retournée contre leur dos en guise d’élytres.

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Situé à la jonction de deux rivières, le village de ‘Long Pasia’ compte une dizaine de maisons de bois, construites sur pilotis autour d’une vaste clairière dont le centre se transforme en étang à la saison des pluies. Comme la maison des visiteurs est momentanément squattée par un énorme nid de guêpes, un des chefs de la communauté nous offre l’hospitalité de sa demeure. L’honneur de nous offrir à boire est réservé à sa mère, vieille femme tatouée aux souvenirs passionnants. Elle nous propose de l’eau bouillie, chaude ou froide car leur provision de thé est épuisée. De son côté, la maîtresse de maison nous prépare une couche ‘confortable’ composée d’une fine natte tressée, posée à même le sol, et d’une couverture; toutes deux confectionnées avec les produits de la forêt. Ces simples et si sincères marques de bienvenue nous vont droit au cœur.

Au cours de notre séjour, nous découvrirons que le mode de vie naturel de nos hôtes est similaire à celui des indigènes rencontrés au Sarawak par Bruno Manser. D'ailleurs, ils vivent encore principalement de chasse, de pêche et de cueillette, ils cultivent un peu de riz dans des clairières près de la rivière et élèvent quelques poules. Depuis toujours ils écoutent et observent la nature dont ils connaissent les secrets et suivent les enseignements.

Au lendemain de la si émouvante soirée, partagée avec nos nouveaux amis, nous quittons le village pour nous installer en forêt. Notre équipement est transporté par les Lundayeh qui construiront notre campement. Une bande d’enfants, magnifiques avec leurs cheveux d’ébène, de fantastiques yeux noirs à peine bridés, et des sourires éclatants dans de douces faces rondes, nous escorte un bout de chemin. Et puis, seul un garçonnet au caractère de chef déjà bien marqué, et une fillette, aussi belle qu’une princesse des légendes anciennes, nous accompagnent jusqu'à un pont suspendu.

A demi démantelé, se balançant à huit mètres au dessus de l’eau, il ne nous inspire aucune confiance ! Heureusement, tout le monde arrive saint et sauf sur la rive opposée. Trois heures plus tard, nos amis trouvent un lieu propice à l’établissement du camp. En un temps record, ils créent une clairière dans le méandre choisi d’une petite rivière. Leur efficacité et leur dextérité ne sont rien en comparaison avec ce que nous connaissons déjà ! Près de l’eau, ils organisent le foyer pour cuisiner, l’étendage et le ‘salon où l’on cause’ qui nous réunira chaque soir pour
  de longues discussions au coin du feu. Dans la zone la plus large et la plus élevée du méandre, ils fabriquent une table avec ses deux bancs attenants, ainsi que notre site de couchage surélevé, et des étagères pour nos petites affaires ! Ils bâtissent notre bivouac à l’image des leurs, lorsqu’ils restent en forêt, à la recherche de nourriture, de médicaments et autres nécessités. Ils ne coupent que les petits arbres, sachant à l’avance la destination précise de chaque élément. Certaines espèces serviront de ligatures après avoir été battues et délitées en de longues fibres. Des lianes précieusement sélectionnées pour leur capacité à retenir de l’eau étancheront la soif des travailleurs. Le camp se termine, et nous aidons à balayer l’aire du campement afin d’écarter scorpions, serpents, sangsues et autres créatures indésirables.





Avant de repartir les Lundayeh nous enseignent comment boire l’eau des lianes, et nous montrent comment faires des pièges pour capturer la
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  micro faune. Deux d’entre eux restent encore une journée avec nous et
Danny pour nous guider dans nos déplacements et notre recherche de l’ours des cocotiers*, but initial de notre voyage, et sujet d'un autre récit.

Restés seuls, avec Danny Chew, nous passons une prodigieuse semaine d'exploration. Nous nous délectons à chaque instant des richesses de notre environnement, trouvons une multitude d’indices de présence d’ours et nous battons contre des myriades de sangsues terrestre, bien jolies avec leurs robes rayées de jaune d’orange et de noir.

A la date prévue, nos compagnons Lundayeh reviennent, et c'est le retour par une piste inconnue, l’occasion de nouvelles découvertes ! Un des porteurs dissèque pour nous la protubérance d’une liane dans laquelle ont éclos des coléoptères*. Il sait qu’ils sont sur le point de perforer le bois pour s’envoler. Au soleil, le vert métallisé de leurs élytres se transforme en un rouge étincelant, puis se moire de jaune couleur de miel. Aux mouvements des insectes, les trois couleurs se mêlent en de somptueuses irisations. Un écureuil s’enfuit, un pic doré monte à l’assaut d’un énorme fût. Dans les cimes, une bande de singes en maraude se déplace ; ombres chinoises dans la lumière du soleil...

Le zénith nous surprend dans une forêt de bambous ; cathédrales gothiques dont les ogives montent jusqu'à trente mètres dans le bleu du ciel. Nous nous arrêtons sur la berge d’une large rivière pour nous sustenter et nouveau mystère, les Lundaya disparaissent. Des coups de machettes nous parviennent d’un bosquet éloigné… Ils nous préparent une surprise! Comme lors de leurs propres expéditions, ils construisent un radeau pour rentrer au village par voie aquatique. Habiles et efficaces, ils le terminent avant l’épuisement de nos questions à Danny Chew. Nous sommes émerveillés! Avec ses sept mètres de long pour un mètre soixante de large, des plants d’orchidées et autres épiphytes encore fixés aux ‘troncs’ de bambous, notre embarcation a des allures de jardin flottant. Dirigée de mains de maître par nos amis, elle nous emmène sans bruit à travers l’immensité d’émeraude. Cette fois, nous étanchons notre soif avec l’eau fraîche d’un tronçon de bambou préalablement sélectionné à cet effet.

En chemin, nous participons activement à une pêche, avec affût au banc de poissons et jeté de filets, ainsi qu’à la cueillette de crosses de fougères pour le repas du soir.
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Bien que certains rapides aient été difficiles à franchir, nous arrivons à ‘Long Pasia’ juste avant la nuit. Les enfants nous aide à débarquer. Plus tard des villageois apportent leur chasse du jour dans la maison du chef où nous logeons. Les animaux, quatre sangliers adultes et un jeune, seront partagés entre tous selon les lois ancestrales. La famille du chef travaille toute la nuit. Les bêtes sont écorchées, lavées, coupées et pesées. Au matin chacun vient chercher la part de ‘récolte’ qui lui est destinée. Ce jour là, notre petit déjeuner se compose de chips de sanglier, toutes fraîches, et d’une sorte de ‘pain perdu’.

Nous passons encore quelques jours inoubliables dans ce village avant de le quitter, non sans une petite larme… En effet, la piste d’atterrissage qui dessert les villages indigènes de cette partie de la montagne nous réserve de nouvelles émotions. A côté de la piste, l’aéroport est digne des plus belles constructions de cabanes de notre enfance ! Il y a une petite tour de contrôle en bois, dont le préposé doit aussi chasser chiens ou bétail de la piste herbeuse, juste avant l’atterrissage ou l’envole des avions. Le contrôle d’identité et des billets s’effectue de part et d’autre d’une palissade percée de « guichets ». Pour la pesée des bagages, la préposée contourne l’ « édifice », une balance de ménage à la main. Tout le monde se rapproche et retient son souffle. Combien peuvent bien peser Jacques et son énorme sac à dos, ensemble? Cent vingt kilogrammes ! Eclat de rire général. Tout le village est là, parés pour l’occasion de tenues semi-traditionnelles semi-occidentales, agrémentées de bijoux et de ceintures de perles, avec en plus sarbacanes ou coupe-coupe en bandoulière pour les hommes. Les adieux sont chaleureux, de part et d’autre. L’avion est arrivé. La porte s’ouvre, et, nouveau paradoxe ; ridée, tatouée, drapée dans une tenue ancestrale et pied nus, l’une des anciennes de la communauté Lundayeh descend les marches avec un port de reine…









 



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Caryota no - Palmier queue de poisson géant



 



EPILOGUE



Dans l’avion qui nous ramène en Europe nous revivons les paradoxes dont nous fûmes témoins. La civilisation industrialisée pousse les indigènes à devenir Chrétien et leur inculque des rites païens comme l’arbre de Noël pendant qu’elle pille et dévaste leur habitat, les grandes forêts primaires, pharmacopée et poumons de la planète ! Elle oublie que ces forêts sont aussi les siennes. Aveugle, elle ne voit pas que grâce à la haute technologie la terre est devenu minuscule. L’humanité et les industries sont si nombreuses et la communication si rapide que chaque événement, où qu’il ait lieu dans le monde, a des répercutions dans un autre point du globe. Perdu et dépassée dans sa course au pouvoir et à la possession, elle a oublié l’essence même de ses idéologies qui sont en fait les même que celle des habitants des dernières zones de nature libre. Au pays des Lundaya la médisance est exclue, tout est partagé et l’entraide est de rigueur. Amour, joie, bonheur autant qu’harmonie, humilité et respect font partie de leur mode de vie naturel. Le monde occidental pourrait prendre du recule et se souvenir. Il pourrait apprendre des peuples dits ‘sauvages’ pour tenter, ensemble, de relever et de sauver la planète. Ne serait-ce pas fantastique que la ferveur d’un groupe d’indigènes Lundaya chantant des hymnes au cœur de la Grande Foret Primaire de Bornéo soit la semence qui transforme la terre en un monde paisible et harmonieux ?


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Plus
de photos
   

Petit matin au bout de la route. Bivouac de Danny Chew, en conversation avec un Lundayeh.

Coin cuisine et séchoir.

 

Gérard Mermoud et l'auteur. Arrière plan: table avec bancs - couchages surélevés et étagères.

Danny Chew aux fourneaux.

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FAUNE et FLORE


 
Mammifères

Mutjac (Petit cervidé de 50 cm de haut)
Ours des cocotiers ou Ours soleil
Sanglier à moustache

Insectes

Sauterelle feuille à longues cornes
Scarabé pattes de grenouille
Phasme (Insecte bâton)

Végétaux

Caryota queue de poisson géant (Palmier)
Rafflesia (Fleur malodorante, sans racine, ni feuilles)



Muntiacus muntjac
Helarctos malayanus
Sus barbatus



Sagra buqueti
Rhizantes satu
Orthoptera systella rafflesii



Haaniella saussurei
Caryota rumphiana borneensis

PHOTOS








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