Auteur: Violette Diserens Binggeli  -  écrit en 2004      Localisation: Madhya Pradesh, Inde  -  1983      Photographe: Jacques Binggeli  -  diapositives

HOMMAGE AU PRINCE DES JUNGLES INDIENNES

Première rencontre
Ombres, lumières... Chaleur, poussière... Jungles profondes du premier Tarzan... Domaine des héros de Kipling... Mystique, féerique, pays des milles et une nuits; l’Inde était pour nous un rêve enfouit depuis l’enfance, lorsqu’un après-midi d’hiver, bien au chaud dans un café Genevois, le Tigre surgit dans une conversation entre amis. Alors, les senteurs, et les couleurs de l’Orient éclatèrent dans la pièce. Ce fut le début d’une longue et passionnante aventure dans les jungles indiennes, à la recherche du mythique félin. Notre première rencontre eut lieu en janvier 1983, au cœur des forêts de Bandhavgarh, dans la province du Madhya Pradesh.

Depuis une semaine déjà, nous sommes à l’affût des tigres*. Nous repérons leurs traces, relevons leurs empreintes ; nous essayons de déterminer leurs cheminements, de préciser où ils se sont reposés ou assis, sans jamais réussir à les voir. Nous cherchons désespérément, sondant chaque buisson du regard, épiant le moindre mouvement dans les hautes herbes. A chaque fausse alerte, la tension monte, nous sommes tendus, anxieux de ne même pas apercevoir une oreille de l’un de ces Seigneurs de la sylve indienne. Son pelage est si parfaitement
  adapté à cette jungle d’ombres et de lumières, qu’il est extrêmement difficile à repérer, d’autant plus s’il est couché ou aplati au sol pour un affût.

Dès qu’ils l’aperçoivent, les cerfs, sambar* et axis*, donnent l’alerte. Queues dressées, têtes tendues vers le danger, la harde s’immobilise, se regroupe, puis s’éloigne un peu, restant juste hors de portée du grand carnassier. Les singes Langurs* à la longue fourrure argentée et aux petites faces noires donnent aussi l’alerte. Haut perchés dans leurs arbres, ils le voient arriver de loin, passer dans une clairière ou suivre une sente dans les hauts herbages. Se gardant alors bien de descendre, montant le plus haut possible dans les branchages, ils lancent des sons ronds et graves qui se transforment en jappements rauques et désordonnés à l’approche du félin. Puis les paons* s’en mêlent, ajoutant à la cacophonie ambiante leurs trompettes affolées, s’envolant dans tous les sens. Le fauve rayé passe sans s’émouvoir. On imagine sa démarche souple, légèrement dégingandée, sa tête massive aux superbes favoris blancs, et puis sa robe de feu aux rayures sombres, et le blanc laiteux de son poitrail marqué de traînées grises...
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*Répertoire faune et flore
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  Un grand seigneur ! Corneilles*, pies*, timalies* et écureuils* sont si excités face au danger, que leur tintamarre et leur agitation nous permettent de localiser la position exacte du prédateur.

Comme chaque matin, il fait encore nuit et froid quand un jeune cornac vient nous chercher. Nos montures, deux éléphants* aux superbesdéfenses, nous attendent déjà, une échelle adossée à la plateforme de bois qu’ils portent sur le dos. Nous escaladons cette dernière, et à peine sommes–nous assis dans ces palanquins de fortune, les pachydermes se mettent en route.

Nous traversons d’abord une forêt de sale* , grands arbres au feuillage dense, puis arrivons sur les berges abruptes d’une rivière, que nos montures s’apprêtent à franchir. Pas rassurés, nous nous cramponnons aux chaînes de sécurité des plateformes. Chose absolument inutile ! Sous les ordres des cornacs, les éléphants s’appliquent. Pattes arrière fléchies, ils avancent en douceur, gardent l’échine horizontale, et nous évitent secousses et dérapages. Tout se passe avec calme et sûreté. Basse et facile à franchir, la rive opposée ne pose pas de problème.

Nous parcourons maintenant une vaste prairie sablonneuse couverte d’herbe rase, piquée de buissons, et de hauts arbres à feuilles oblongues nommés tendus* . Il fait frais. Dans le ciel de fin de nuit, on aperçoit un croissant de lune et la vive lumière des astres. A l’Est, le soleil se lève lentement. Devant nous la rivière dont on croise les méandres se couvre de brume. Out, out, out, out, out, le chant du barbu chaudronnier* résonne, se mêle aux trompettes rauques des paons* et au tendre roucoulement des tourterelles*... Nous pénétrons ensuite dans une forêt de bambous*, encore plane dans cette zone, avec des termitières de terre rouges, des gerbes de jeunes palmiers vert sombre, quelques touffes de bambou desséchés, et surtout, avec ses immenses bosquets aux feuilles effilées, pleins d’ombres et de lumière. A notre approche, les “Chittal” qui broutaient paisiblement dressent leurs têtes fines aux bois immenses. Ils nous observent, puis s’éloignent sans hâte. Une troupe de perdrix* s’échappe d’un taillis. Les paons changent tranquillement de secteur.

Loin, dans la forêt, nous retrouvons la rivière qui coule maintenant entre

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  les rochers, sur un lit d’herbe, de boue et de feuilles sèches. C’est le livre des cornacs ! Hauts perchés sur leur monture, ils déchiffrent les indices laissés par le peuple de la jungle, nous nommant les espèces, nous indiquant leurs mouvements. — “Une famille de sangliers* avec trois jeunes marcassins, un mâle nilgaut*, des chacals ont traversés en aval.” Le jeune cornac a trouvé quelque chose, effectivement, ce peut être une empreinte de tigre. Les cornacs se concertent inspectant le sol alentour. — “Oui, un tigre est bien passé par là ce matin. Il a bu, puis est remonté le long de la rivière en direction des collines”. Alors, la “pisté” commence !

Près de l’eau, pas de difficultés, chaque pas du félin ayant fait éclater la pellicule sèche de la terre sablonneuse encore humide des pluies de la veille. En quittant la rivière, nous suivons une piste de feuilles retournées, chamboulées, puis la forêt devient très dense, les bambous immenses. Je n’arrive plus à voir le sol, ni à déterminer les repères des cornacs. Les éléphants se frayent un chemin dans cette brousse vierge de piste, sans s’inquiéter de notre confort. Nos jambes, pendant sur leurs flancs, sont emportées avec les branches qu’ils entraînent, coincées même parfois, sans freiner un instant leurs déplacements. Nous devons éviter les branches fines qui nous cinglent le visage, et celles lâchées trop tôt par les cornacs. Bref, nous voyageons à la hauteur de la route des singes de Kipling, noyés dans un océan de verdure. Le terrain est de plus en plus accidenté. A la suite du tigre, bien guidés par les cornacs, nos pachydermes se font un passage dans un enchevêtrement d’arbres, de bois morts et de rochers. Prenant d’incroyables positions, ils grimpent, escaladent, dociles et sûrs d’eux. Les bambous s’éclaircissent, on scrute attentivement le sous-bois. A une centaine de mètres vers le sommet, il nous semble que... Avec cette végétation et les fines feuilles vertes voilant la vision, nous ne sommes sûrs de rien… Mais le cornac a vu. Là haut, vers les roches noires, il y a un tigre! Enfin nous le voyons. Il est superbe!

Admirablement camouflé par des jeux d'ombre et de lumière, il ronge un os d'antilope Nilgaut*, sans se préoccuper de notre approche. C'est un mâle, reconnaissable aux imposants favoris blancs de sa tête massive. Son manteau de feu aux rayures sombres est admirablement mis en valeur par la blancheur laiteuse de son ventre et de son poitrail. Nous voulons nous souvenir de chaque détail, des tâches blanches de ses oreilles, de la forme, de la couleur de ses yeux, et
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  même du nombre des poils de sa moustache si cela était possible ! L’intérieur de ses pattes nous impressionne beaucoup. Par leur taille d’abord, et puis par leur structure : ces cinq coussinets et cette pelote noirs, très souples; ce poignet à l’articulation délicate et résistante, qui donne l’extraordinaire élasticité de sa démarche ; l’intérieur d’une patte tout en douceur, dont la caresse vous arrache la tête.

Rassasié sans doute, il baille, ou plutôt, fait jouer au maximum chaque muscle, ainsi que les articulations de sa mâchoire. Il étire tout son corps, l’aplatissant au sol dans un évident bien-être. Les yeux mi-clos, sa tête rejoint lentement le coussin de ses pattes antérieures et s’y installe dans un délicat mouvement de menton. Quelques instants plus tard, sa gueule s’ouvre à nouveau dans un bâillement énorme, découvrant une redoutable dentition de carnassier. Un peu plus tard, il se lève avec lenteur, nous fixe du regard, et contourne un bloc de rocher. Il s’éloigne… disparaît, happé par la luxuriance forestière.

Visiblement agacé par les bruits et les mouvements incessants des éléphants, qui n’ont que faire d’un tigre, encore moins d’un tigre repu, il a préféré s’éloigner, ne manifestant aucune agressivité. Tristesse, frustration, émerveillement, les sentiments se bousculent dans notre coeur. Nous aimerions le suivre, l’observer encore et encore. Cette première rencontre nous a bouleversés. Assis sur le dos de nos éléphants, la tête pleine de visions du Seigneur des jungles indiennes, nous rentrons au camp par le lit de la rivière, rêvant de cette si merveilleuse journée.
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Cerf sambar

 





Nilgaut ou Antilope bleue

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FAUNE et FLORE




Mammifères

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Eléphant d'Asie
Langur sacré (singe)
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Nilgaut ou Antilope bleue
Sambar (Cerf)
Sanglier indien
Tigre du Bengale

Oiseaux

Barbu chaudronnier ou à plastron rouge
Corneilles (deux espèces)
Paon bleu
Perdrix
Pie rousse ou Témia, vagabonde
Timalies
Tourterelles (quatre espèces)

Arbres

Bambou
Sale
Tendu



Funambulus
Elephas maximus
Semnopithecus entellus
Axis axis
Boselaphus tragocamelus
Cervus unicolor ou Rusa unicolor
Sus scrofa cristatus
Panthera tigris tigris



Megalaima haemaceohala ou Psilopogon haemaceohala
Corvus macrorhynchos, C. splendens
Pavo cristatus
Francolinus pondicerianus
Dendrocitta vagabunda
Turdoides striatus
Streptopelia senegalensis, S. chinensis, S. tranquebarica,
S. decaocto



Dendrocalamus strictus
Shorea robusta
Diospyros melanoxylon

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